Un banquet. Fort bien. Je me délecterai de mets exquis en pensant à toute la route que j'aurai accumulé dans mes pattes... Même ma monture commence à pâlir, c'est vous dire ! Je ne pense pas que le messager ait énoncé un caractère obligatoire à cette réception, mais malgré la journée de chevauchée que cela impliqué, je décidai de m'y rendre. Oh me faire voir à la cour n'était aucunement mon intention. J'y serai vue, certes, mais ma place y est déjà refusée. Je ne m'attendais pas à ce que les dignitaires de notre cher royaume remettent en cause cette dite place. Cela ne m'intéressait pas. J'avais à faire dans les parages du château doré de mon clan. Mais avant cela, j'allais me régaler la panse. Pour une fois que j'étais invitée... on entendra chez certains que cela se fête. C'est que ce je ferai, soyez-en assurés.

Une fois sur les lieux, je laissai mon canasson aux écuyers. Ils prendraient grand soin de lui, j'en suis persuadée et m'en carre l'oignon. Je n'étais pas riche au point de pouvoir le remplacer, mais ce n'est pas comme si un cheval m'était indispensable... J'avais tellement parcourut de kilomètres à pieds que cela ne me faisait ni chaud ni froid. Le lien entre le cavalier et sa monture... parlons-en. Ou pas. On était plus libre de ses mouvements à terre. Et malgré ma cruauté envers le genre humain, je n'étais pas aussi catégorique avec les animaux : ce cheval n'a rien demandé pour être à cette place. Mourir par une flèches perdue ou un dératé décidé à l'écloper pour me faire tomber, c'est vraiment injuste. Pour le cheval en tout cas. Je ne lui infligerai pas ce sort, ça non. Les mondanité m'assourdissaient, mais elles me permettaient aussi - comme pour bien d'autres - de me vider l'esprit, de penser à autre chose que la guerre. On a beau être des femmes d'action, un peu d'oisiveté ne fait pas de mal. Et les petits plaisirs de nos escales ne font que renforcer notre foi en Adalya et nos terres si précieuses à nos cœurs.

Des courbettes, des regards faussement courtois, ou clairement méprisants, au choix. Il y avait de tout quant je passais dans les rangs des invitées. Mais cela ne me dérangeait pas le moins du monde. Je ne calculais pas mes consœurs qui ne portaient aucune considération envers moi. Toutes n'étaient pas ainsi, fort heureusement. Je retrouvai quelques visages connus et surtout amicaux. Ou tout du moins cordiaux, avec qui j'échangeai quelques politesses d'usage. Loin de moi était la grâce des gentes dames et des aristocrates, mais là était l'avantage de ces banquets : on trouvait de tout. Si bien que je ne faisais pas si tâche que ça. Mais alors que je me retire pour me rassasier de délices gourmets, une question me vient : que célébrons-nous ? Il me semble avoir intercepté quelques conversations au sujet de la princesse. Commémorons-nous sa capture ou bien fêtons-nous sa libération ? Qu'en sais-je... elle et ses gamineries l'ont menée dans des sentiers bien sombres. Je n'ai pas joint mes bras aux forces chargées de la protéger. Disons plutôt qu'on ne me faisait pas assez confiance et que du coup, j'étais restée sur le côté et par conséquent, je prenais la mission de haut pour me persuader que de toute façon, je n'avais pas envie de participer à la plus grande chasse jamais organisée dans tout Noriendell. Petite peste qui aurait dû écouter sa mère... Les mères, on devrait toujours les écouter avec la plus grande attention et les respecter, les aduler jusqu'à leur dernière étincelle de vie... pensai-je en regardant cette petite fourchette.

Les célébration de ce genre étaient un véritable régale pour les personnes attentives, observatrices ou possédant une ouïe vagabonde. Rien de tout ça ne collait à mon état d'esprit. Je savais me montrer observatrice, mais qu'en situation réellement intéressante. Là, c'était seulement un plaisir gastronomique. Le bruits ambiant, les tenues, les conversations, même la raison de ces festivités m'étaient égal. Alors que je me délectais des différents mets mis à disposition, une voix dans le fond sonore se fit entendre : excuse-moi mais je voudrais passer. Loin de moi l’idée de te vexer, mais tu m’en empêches. Pourrais-tu te décaler un peu ? Des visages se tournent vers moi. Je fronce les sourcils. Mes méninges n'allaient pas révolutionner le monde, pas fine pour un sou et conservant le peu de ruse que je possédais pour mes combats, je mis du temps avant de comprendre que cette voix s'adressait à moi...

Pas fine mais habile, ce qui semblait dépasser certaines de mes consœurs. Je me tournai et vis cette Méliana maniérée qui, voulant sûrement bien faire, s'était reculée pour me permettre de me retourner sans lui en balancer une au passage. Son verre lui échappe et le drame arriva : breuvage étalé sur le sol, sur ma robe. Ses couleurs étaient assez dans le ton, mais le geste n'en perdait pas son importance : une tâche. Mes yeux deviennent noirs. Sûrement de quoi jeter un froid dans le périmètre. Jaugeant la coupable quelques instants avec cette expression mauvaise, un sourire se dessina dans le coin de mes lèvres. Je suis navrée, vraiment. Je te dédommagerai le nettoyage, dit-elle sans non plus s'étendre. En temps normal, elle n'aurait même pas pu finir sa phrase, c'est une certitude. Mais nous étions à la cour, et il y avait de la bonne nourriture. Laissant mon regard parcourir le peu de visages qui étaient encore tournés vers nous, je replaçai mes prunelles sur ce que les autres pensaient être ma proie. Evalyne... conciliante à souhait, lançai-je en sourire.

Loin de moi était l'image de la parfaite sœur d'arme, indulgente et magnanime, mais je n'étais pas sans ignorer quelques principes communautaires : ne pas éventrer une consœur par imprudence ou pour ce genre de drames. Les mauvaises langues se garderont néanmoins d'étendre le mot que je ne suis pas si intransigeante envers les Mélianas. Certes, je n'en portais que peu dans mon cœur, faisant partie de leur camp par circonstances et par simple filiation. Une culture, une tradition, voilà ce qu'était ma place chez les Mélianas. Assez peu de sentiments pour que seule la plus haute trahison m'a fait me tourner à nouveau vers cette famille qui, à entendre ma mère, était mienne. S'attendait-elle sincèrement à ce que je considère la Reine encore plus que ma propre mère ? Morgana Campbell avait beau être respectable dans son genre et ses idées, ce n'était pas elle qui m'avait élevée. Je laissais cette intimité à Adalya et Suleyk, ma très précieuse mère. Ma lame traverserait quiconque tenterait de prendre leur place. Me materner était probablement la dernière chose que vous ferez si un jour vous vous sentez tenté.

Il n'y avait pas eu mort d'homme, loin de là. Mais il m'en fallait peu, très peu. Cependant, il fallait rester dans le cadre. Règle à laquelle je peinais à plier. Néanmoins, cela restait amusant. Subtil. Je faisais rarement dans la subtilité, si bien que je trouvais cela divertissant. Comme si toute cette cour n'était qu'un jeu. Certaines Mélianas étaient sournoises, solitaires, des louves en chasse, prêtes à l'exil ou à prendre des places plus importantes que ne leur procure leur pédigrée actuel. On méritait sa place chez les Mélianas. Cela pouvait déplaire à certaines femmes de bonne naissance. J'aurais pu avoir une bonne place si on donnait un rang suivant nos titres. Mais dans ma famille, on n'a jamais été très ambitieuses politiquement parlant. Certes, je suis une perle de déviance et le mauvais exemple des sujets de la reine, mais j'étais la pire des Quail de ce côté, alors pas tellement de quoi s'en faire. Je me suis déjà exilée, j'ai déjà connu l'ennemi et certaines lois me passent par-dessus la tête. Loin d'un modèle. Mais toujours assez orientée dans le bon chemin pour ne pas voir ma tête sur un piquet. Rassurant, totalement.

Je ne peux pas vraiment dire que ma mère serait fière de mon comportement. Elle m'a quitté alors que j'étais encore entrain de me chercher, de grandir. Je voyais mes premiers champs de bataille, recevais mes premières missions. Un repérage. Si elle avait survécu, je pense que mon futur aurait été complètement différent ; je serais restée avec mes sœurs, j'aurais combattu au nom de la reine et pour la reine, je me serais précipitée sur la capitaine en charge de la mission princesse rebelle à libérer et j'aurais tout fait pour débusquer les infidèles Mélianas qui pensaient quitter le droit chemin. Finalement, je me suis égarée, je suis revenue, et j'ai à nouveau l'impression que je vais perdre pied... Rester dans les rangs. Éviter les vagues. Je suis étonnée que tu connaisses mon nom. Moi je n’ai aucun souvenir de toi… Tout du moins de ton nom. Aurais-tu l’amabilité de combler mon ignorance ? Rétorqua l'imprudente. Je la toise un instant du regard avant d'accéder à sa requête. Les souvenirs n'ont pas d'importance, certains visages et noms marquent et reviennent plus souvent que d'autres, expliquai-je dans un soupir. Je me nomme Felicia Quail, répondis-je finalement. La tâche sur ma robe me dérangeait, comme si cela causait une démangeaison. Mais je savais très bien que ce n'était pas vraiment à cause de cette tâche... Je désorientais mes impulsions pour ne pas y céder. Nettoyer une tâche était plus pacifique que de frapper l'accusée. Qui, proportionnellement aux dégâts causés, ne méritait pas tant d'attention.

Tout se sait. Du château aux campagnes, de Valbrume aux hauts-fonds des océans. Les femmes sont terribles à ce jeu : l'information, la désinformation. Amplifier des voix pour en taire d'autres, mettre des personnes en avant pour en cacher d'autres. Je n'étais pas vraiment de ce genre... fouiner, me renseigner... s'il m'arrivait de m'arrêter sur certaines personnes, c'était rarement par commérage ou par curiosité mal placée. J'étais assez victime de quolibets pour savoir que ça n'apporte rien de répandre des rumeurs. Les bruits de couloirs ont plus tendance à m'assourdir. Tout fini par se fondre dans une masse éphémère. Bien loin de mes objectifs. Ou plutôt de mon objectif. Casser du Palionto. Peu m'importaient les jeux politiques, les appréciations, la notoriété. Selon moi, je n'avais rien à prouver. Je ne devais rien aux autres Mélianas. Si elles restent dans leur coin, je les y laisse, tant qu'en retour, elles me laissent dans le mien. Chacun chez soi et les poules seront bien gardées, pas vrai ? Mais ce genre de réceptions n'étaient pas l'endroit idéal pour rester dans son coin. Si vous restez en retrait lors d'un banquet, c'est le meilleur moyen d'attirer les interrogations, de créer des conversations au sein des groupuscules. Peut-être pourrait-on partager un nouveau verre pour effacer tout ça ? Proposai-je à cette pensée. Se fondre dans la masse. C'était plus facile avec une complice.